Il y a quelques années, j’étais directeur au sanctuaire de Beauvoir. Un jour, je vois une dame descendre l’allée centrale de l’église, une photo encadrée à la main. Je m’approche d’elle et je vois qu’il s’agit d’une photo de famille avec beaucoup d’enfants que je commence à compter. Elle m’interrompt et me dit : « Il y en a dix-sept, mon Père! » Le plus vieux semblait dans la quarantaine et le plus jeune encore adolescent. « J’apporte cette photo à l’église parce que je sais que plusieurs d’entre eux ne viennent plus à la messe du dimanche. Je les présente au Seigneur quand même. » « Nous avons été un peu fou, non, d’avoir autant d’enfants ? » a-t-elle ajouté. Je lui réponds : « Pourquoi dites-vous cela ? Y en a-t-il parmi eux que vous auriez préféré ne pas avoir ? » « Non, vraiment. Je les aime tous ». « Y en a-t-il l’un ou l’autre que vous aimez davantage? » Après avoir hésité à répondre à cette question quelque peu indiscrète, elle me dit : « Celui-là, Robert. Il sort de prison et les choses n’ont pas toujours été faciles pour lui jusqu’à maintenant. Il a besoin de mon amour et de mon attention plus que les autres ». « Et les autres ne sont pas jaloux ? » « Non. Ils savent que je les aime aussi ». Je me suis fait la réflexion : il n’y a rien qui ressemble davantage au Cinquième Évangile, l’option préférentielle de Jésus pour les plus pauvres…
Cela est frappant, en lisant les Évangiles, comment Jésus exerce son ministère tout d’abord auprès des pauvres, des pécheurs et des collecteurs d’impôts, des lépreux (les gens les plus isolés de la société à l’époque), les aveugles, les veuves, les opprimés… eh bien! tous ceux qui avaient besoin d’un changement radical dans leur vie. Jésus leur montre de la compassion, prend soin d’eux, répond à leurs besoins et surtout détourne leur regard de leur vie de misère et leur montre le Père qui les voit sous un tout autre jour. « Les vues du Seigneur ne sont pas les vues des hommes… » Les justes, l’appareil religieux du temple et de la synagogue, les savants ont de la difficulté à comprendre sa stratégie. La plupart s’y opposent : ce Jésus perturbe l’ordre établi, il sabre l’autorité des chefs religieux et s’attaque aux traditions sacrées héritées des anciens. Au sens littéral du mot, Jésus propose une révolution, un tournant à 180 degrés. Un jour nouveau se lève…
Pas tout à fait nouveau, à vrai dire. Les anciens prophètes tenaient des propos semblables. Quand on lit certains passages de l’Ancien Testament, apparaissent clairement les devoirs du juif observant envers les veuves et les orphelins, les pauvres, les étrangers, les malades, les prisonniers, ceux qui ont des dettes… La justice et la compassion sont les moyens concrets d’exprimer l’amour du prochain. Jésus ajoute même : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, qu’y a-t-il d’extraordinaire ? Les païens n’en font-ils pas autant ? » Jésus met la barre haute pour nous montrer comment aimer notre prochain. Sommes-nous prêts à le suivre en préférant nous aussi d’aimer celui qui est faible et sans moyens…?
Père Gilles Blouin
Assomptionniste
Partir. Voir. Croire